Point sur … la psychologie de comptoir
Les Robins des Bois dans "Radio Bière Foot"

Un phénomène qui ne vient pas de nulle part

La psychologie de comptoir trouve ses racines dans notre besoin inné de comprendre le monde qui nous entoure. Depuis toujours, les êtres humains cherchent à expliquer les comportements de leurs pairs pour mieux interagir avec eux. Cependant, cette quête de compréhension est souvent biaisée par des stéréotypes, des préjugés et des généralisations hâtives.

Vulgarisation, catachrèse et réseaux sociaux

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© Hergé-Moulinsart SA 1997 - Les bijoux de la Castafiore

Les médias jouent un rôle crucial dans la propagation de la psychologie de comptoir. Les émissions de télévision, les films ou séries télé, les articles de magazines et les publications sur les réseaux sociaux simplifient – voire caricaturent, comme le TDI dont souffre James McAvoy dans Split – souvent des concepts psychologiques complexes afin de les rendre accessibles au grand public. Malheureusement, une vulgarisation scientifique insuffisamment maîtrisée peut conduire à des malentendus et à des interprétations erronées.

Par ailleurs, bon nombre de politiciens et de journalistes sont des spécialistes de la catachrèse, c’est-à-dire de l’emploi d’un mot en un sens abusif. Une gestion jugée incohérente d’un dossier devient le fait d’un « schizophrène », une prise de parole contestataire celui d’un « bipolaire » et une persévérance militante celui d’un « autiste ».

Pour revenir au cas des réseaux sociaux, ils ont également un effet d’amplification de la psychologie de comptoir dans la mesure où ils permettent à chacun de partager ses opinions et analyses, sans avoir besoin de justifier d’un quelconque fondement scientifique. Les influenceurs et autres personnalités publiques peuvent diffuser des idées caricaturales sur la psychologie, lesquelles seront ensuite reprises et massivement partagées. Cette diffusion large et rapide contribue à ancrer des idées fausses dans l’esprit du public.

Les dangers de la psychologie de comptoir

La stigmatisation et les préjugés

 

L’un des principaux dangers de la psychologie de comptoir est la stigmatisation des individus. En attribuant des étiquettes simplistes à des comportements complexes, on risque de renforcer des préjugés et de marginaliser certaines personnes. Par exemple, qualifier quelqu’un de « dépressif » sans comprendre les nuances de la dépression peut être extrêmement réducteur et nuisible pour la personne, en favorisant par exemple les discriminations et le harcèlement à son égard.

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La sur-simplification des problèmes

 

La psychologie de comptoir tend à réduire des problèmes psychologiques complexes à des explications simplistes. Cela peut empêcher les individus de chercher une aide professionnelle appropriée et de recevoir le soutien dont ils ont réellement besoin. Ainsi, dire à quelqu’un de « simplement penser positivement » pour surmonter une dépression revient à ignorer les aspects biologiques, environnementaux et psychologiques de cette maladie. De même, réduire la schizophrénie à une question de déséquilibre chimique du cerveau s’apparente à du réductionnisme biologique et constitue un réel danger, car il est alors facile d’identifier les malades comme étant défectueux ou dangereux … En résumé, chercher à tout simplifier fait courir le risque de minimiser la souffrance des personnes concernées et de les dissuader de demander de l’aide !

 

Les conséquences sur la santé mentale

 

La diffusion de conseils non professionnels voire de diagnostics erronés peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale des individus. Les personnes qui reçoivent de telles informations peuvent aggraver leur état ou retarder la recherche d’un traitement approprié. A ce sujet, depuis mai 2024, un nouveau délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soin a été créé. A bon entendeur … Enfin, la banalisation de certains troubles psychologiques peut conduire à une sous-estimation de leur gravité et à une prise en charge inadéquate.

Alors, que faire ?

Eduquer et sensibiliser

 

Pour contrer les effets néfastes de la psychologie de comptoir, il est essentiel de promouvoir une éducation psychologique de qualité. Les écoles, les universités et les médias peuvent jouer un rôle clé en fournissant des informations précises et nuancées sur les comportements humains et les troubles psychologiques. Des campagnes de sensibilisation peuvent également aider à démystifier les troubles mentaux et à encourager une compréhension plus profonde et empathique.

 

Consulter des professionnels

 

Encourager les individus à consulter des professionnels de la santé mentale est indispensable. Les psychologues, psychiatres et autres thérapeutes sont formés pour comprendre les complexités des comportements humains et peuvent offrir un soutien adapté efficace. Seuls les médecins (dont les psychiatres) peuvent poser des diagnostics et prescrire des traitements médicamenteux ou psychothérapiques.

 

Promouvoir la littérature scientifique

 

La promotion de la littérature scientifique et de ressources fiables est également essentiel. Les livres, articles, études, podcasts, documentaires etc. produits par des spécialistes et experts en psychologie* peuvent fournir des informations précises et approfondies sur les comportements humains et les troubles mentaux. Encourager la consultation de ces ressources peut aider à combattre les idées fausses et à aller vers une compréhension plus avancée.

Je vous donne ici le lien de plusieurs ressources fiables, traitant partiellement ou totalement de psychologie, qui font notamment partie de ma « routine informationnelle » :

Lectures :

https://www.psycom.org/agir/linformation/journalistes-pour-informer-sans-stigmatiser/

Chevance, A. (2022). En finir avec les idées fausses sur la psychiatrie et la santé mentale. Les éditions de l’Atelier.

 

*Un bon moyen de les identifier quand on n’est pas du métier et de voir si ces personnes acceptent de se remettre en question face à une critique constructive et si les références qu’elles utilisent sont récentes. Par exemple, quelqu’un qui passe son temps à citer Freud – la recherche ne s’est heureusement pas arrêtée à sa mort il y a plus de 80 ans ! – et qui a tendance à discréditer tous ses détracteurs par des attaques à la personne n’est probablement pas digne de votre confiance … à l’inverse, quelqu’un qui respecte son interlocuteur, qui précise ses sources (lesquelles datent d’il y a quelques années à quelques décennies tout au plus) et qui reformule ses propos au besoin pour être mieux compris, présente a priori beaucoup moins de red flags !

Se rapprocher de groupes de soutien et de communautés en ligne

 

Enfin, les groupes de soutien et les communautés en ligne peuvent jouer un rôle important, dans la mesure où ils offrent un espace où les individus peuvent partager leurs expériences et obtenir des conseils de personnes ayant vécu des situations similaires. Cependant, il est important que ces groupes soient modérés par des professionnels ou des personnes bien informées afin d’éviter la propagation d’informations erronées.

Le mot de la fin

La psychologie de comptoir, bien que séduisante par sa simplicité, comporte de nombreux dangers. En promouvant une compréhension plus avancée et en encourageant la consultation de professionnels, nous pouvons espérer réduire les préjugés et offrir un soutien plus approprié à ceux qui en ont besoin. La prochaine fois que vous entendrez une analyse psychologique simpliste, ou « psychologisante », prenez un moment pour réfléchir aux nuances et aux complexités qui se cachent derrière les comportements humains. En adoptant une approche donnant la part belle à l’empathie et à l’esprit critique, nous pouvons toutes et tous contribuer à un soutien plus efficace et une meilleure compréhension de celles et ceux qui en ont besoin.